
Il fut un temps où les nations, mêmes armées jusqu’aux dents, feignaient de croire à un arbitre. Il siégeait à New York, envoyait ses casques bleus là où la paix vacillait, promouvait le droit, à défaut de le garantir. Cet arbitre, imparfait, parfois aveugle, portait un nom : l’Organisation des Nations unies. Aujourd’hui, deux puissances, l’une armée de la foi dans son exceptionnalisme, l’autre de la certitude que tout lui est permis au nom de sa survie, mènent une entreprise concertée de sa démolition.
Israël et les États-Unis n’ont pas seulement affaibli l’ONU, ils en ont miné le principe même. Leur acharnement contre l’UNRWA, contre l’UNICEF, contre l’OMS, contre le Conseil des droits de l’homme, n’est pas une querelle de bureaucratie. C’est un choix de monde. Un monde où l’aide est réservée aux loyaux, où le droit n’existe que s’il sert l’intérêt national, où la paix n’est plus un horizon mais un obstacle à l’expansion.
Gaza est devenu le laboratoire de ce monde sans loi. La faim y remplace l’ordre. Les files d’attente à l’aide alimentaire sont visées par les drones. Les enfants n’ont plus de médecins, les blessés plus de soins. Les mots eux-mêmes s’effacent : ce n’est plus une enclave, c’est une expérience. Une expérience d’inhumanité, où l’on teste jusqu’où un peuple peut être brisé sans que le monde ne cille. Si tu veux manger, tu dois goûter à la mort, disent ceux qui ont survécu aux distributions.
Le silence de l’ONU n’est pas un choix. C’est un viol. Elle est attaquée, ses représentants tués, ses fonctions vidées de sens, son secrétaire général traité de complice du terrorisme. Son passé même est renié : qu’importe que ce soit elle qui ait validé la création d’Israël, elle est aujourd’hui traitée en ennemie.
Et dans ce monde où les États se réjouissent de ne plus être tenus par autre chose que leur force, que reste-t-il aux peuples ? Rien. Sauf la faim, le deuil, l’humiliation. À Gaza, la violence est directe, brutale, méthodique. Mais ailleurs, elle est sourde, rampante, masquée par l’indifférence. En Haïti, elle assiste impuissante à l’effondrement d’un État, faute de moyens, faute de mandat clair. En République démocratique du Congo, les massacres se poursuivent dans l’ombre, loin des caméras, loin des résolutions. C’est les puissances étrangères qui négocient la paix en fonction de leurs intérêts. Partout, l’organisation est paralysée, délégitimée, rendue inopérante par ceux-là mêmes qui l’ont fondée.
L’ordre international était déjà imparfait, mais sans lui il ne reste que le chaos légitimé. La puissance, quand elle ne rencontre aucun contrepoids, dévore tout, y compris ceux qui l’ont réclamée.
Ce n’est pas seulement Gaza qu’on tue. C’est l’idée même que le droit puisse un jour parler plus fort que le canon. Et ce jour-là, si l’on accepte qu’il s’efface, alors chacun devra goûter à la même désolation. Parce qu’il n’y aura plus personne pour dire non, et que le monde, débarrassé de tout arbitre, finira par être étranger à lui-même.
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