Kivu, le vertige de la guerre

Le tumulte des armes résonne à nouveau dans l’Est du Congo. Dans la province du Kivu, la guerre n’a jamais vraiment cessé, elle s’est seulement transformée, recomposée, recommercialisée. Sous le prétexte d’affrontements ethniques et de querelles de souveraineté, ce sont en réalité des intérêts économiques et politiques qui se jouent, dans l’indifférence des capitales africaines et sous le regard satisfait des puissances régionales.

Dans les camps de déplacés autour de Goma, des milliers de familles continuent d’errer sur des terres inhospitalières, déplacées encore et encore, exilées dans leur propre pays. À Bulengo, ils sont entre 700 000 et un million à survivre sous des bâches, refaisant sans cesse le même geste de fuite, comme si l’histoire de cette région était condamnée à une perpétuelle errance. Pendant ce temps, les seigneurs de la guerre avancent, investissent les villes, renversent les équilibres précaires sans qu’aucune autorité légitime ne vienne poser la question essentielle : jusqu’à quand ?

Car la tragédie du Kivu n’est pas qu’une guerre de factions, elle est aussi un jeu cynique de calculs froids et d’intérêts bien compris. D’un côté, le Rwanda, sous couvert de protéger ses frontières et de combattre les FDLR, manœuvre dans l’ombre pour asseoir son influence sur les territoires riches en ressources minières. Loin d’être une simple affaire de sécurité, l’intervention rwandaise s’inscrit dans une logique d’expansion et de contrôle économique, avec l’appui d’élites congolaises prêtes à céder leur pays en échange de quelques privilèges.

De l’autre, le gouvernement congolais lui-même, englué dans ses contradictions, exhibe son impuissance en multipliant les alliances précaires et les pactes sans lendemain. Kinshasa, plus préoccupée par la conservation du pouvoir que par la défense de sa souveraineté, voit défiler des mercenaires étrangers, des promesses d’aide internationale qui n’aboutissent jamais et des coalitions éphémères qui ne font que précipiter son affaiblissement. La présence de la MONUSCO, incapable d’empêcher l’effondrement de la région, illustre le théâtre de l’absurde où s’écrit le destin de millions d’innocents.

Les États africains, quant à eux, restent murés dans un silence assourdissant. On dénonce les ingérences étrangères, on se réunit dans des sommets stériles, mais l’on n’agit pas. Car reconnaître la tragédie du Kivu, c’est aussi admettre les faillites des dirigeants du continent, c’est confronter la corruption, les compromissions, la lâcheté. Il est plus simple de détourner le regard et d’attendre que le vent tourne, quitte à laisser des centaines de milliers de vies être broyées dans l’attente.

Mais l’Afrique n’est plus un simple territoire de prédation et de manipulations. Les sociétés africaines se transforment, elles bouillonnent d’une énergie que ni les juntes, ni les envahisseurs masqués, ni les profiteurs ne pourront éternellement museler. Ce qui se joue au Kivu est plus qu’un conflit régional : c’est une mise à l’épreuve de la volonté africaine de prendre en main son propre destin.

Tôt ou tard, la question sera posée aux dirigeants de ce continent : combien de temps encore continueront-ils à brader leur honneur et leur responsabilité ? Combien de temps encore s’en remettront-ils à des puissances étrangères pour gérer ce qui devrait être leur combat ? L’histoire, elle, ne s’arrête pas. Et ceux qui persistent à jouer avec le feu du Kivu devront un jour rendre des comptes.

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