Une Réflexion sur l’Exploitation des Ressources dans un Contexte de Néocolonialisme Climatique
L’article du Monde Afrique sur l’évolution de la COP29 met en lumière une dynamique préoccupante de la géopolitique contemporaine : la transformation de l’Afrique en une plateforme mondiale des droits à polluer. Alors que les accords climatiques et les marchés du carbone se développent, l’Afrique semble une fois de plus se retrouver au centre des ambitions extractivistes des grandes puissances. Ce phénomène s’inscrit dans une continuité historique où le continent, riche de ses ressources naturelles, devient la cible d’une nouvelle forme d’exploitation, cette fois axée sur la « finance verte ». Mais dans ce jeu de négociations internationales, il convient de s’interroger : qui sont les véritables bénéficiaires de cette ruée vers le carbone africain ?
Une Nouvelle Vague de Néocolonialisme : La Marchandisation de l’Air Africain
Le marché du carbone, censé être un levier pour atteindre les objectifs climatiques fixés par l’accord de Paris sur le climat, représente pour les pays industrialisés une opportunité de « délocaliser » leurs efforts de réduction des émissions. En finançant des projets de réduction des émissions en Afrique, ces nations trouvent un moyen de compenser leur propre incapacité à réduire leurs émissions localement, souvent à moindre coût. Cependant, cette dynamique ne relève-t-elle pas d’un néocolonialisme environnemental ?
Dans les faits, il s’agit d’une transaction asymétrique : d’un côté, les pays du Nord achètent des crédits carbone pour compenser leurs émissions ; de l’autre, les pays africains vendent leur capacité d’absorption et leur droit à un développement industriel autonome. Les élites locales, souvent complices de cette marchandisation, voient dans ces accords une source immédiate de financement, mais à quel prix pour le développement durable du continent ? La rhétorique du « développement propre » masque en réalité une perpétuation des dynamiques d’exploitation où l’Afrique est réduite à un réservoir de services environnementaux pour le reste du monde.
La Stratégie Sino-Russe et l’Accaparement des Ressources Africaines
La présence croissante de la Chine et de la Russie sur le continent africain illustre une nouvelle vague d’accaparement des ressources stratégiques. Leur stratégie, axée sur le partenariat bilatéral et les accords économiques, fait écho aux méthodes de financement des crédits carbone adoptées par les pays industrialisés. À travers des investissements dans les infrastructures et les industries extractives, Pékin et Moscou assurent leur accès aux ressources africaines tout en renforçant leur influence géopolitique.
Cette dynamique s’accompagne souvent d’une collusion avec les élites locales, qui voient dans ces alliances un moyen d’accélérer le développement économique sans égard aux impacts environnementaux ou sociaux à long terme. Les projets d’infrastructure financés par la Chine, par exemple, s’accompagnent souvent d’une exploitation intensive des ressources minières et forestières, participant ainsi à une forme de déforestation compensée par l’achat de crédits carbone ailleurs. La Russie, de son côté, renforce sa présence dans le secteur énergétique, notamment à travers des accords dans l’exploitation du gaz et du pétrole, tout en cherchant à asseoir son influence par des alliances politiques.
La Complicité des Élites Africaines : Une Trahison des Intérêts Collectifs
Dans ce contexte, il est essentiel de questionner le rôle des élites africaines. En signant des accords bilatéraux de crédits carbone sans attendre les résultats des négociations multilatérales menées sous l’égide de l’ONU, ces élites montrent une volonté de monétiser rapidement les ressources environnementales du continent. Cette démarche court-circuite souvent les mécanismes de consultation et de participation des populations locales, qui se retrouvent exclues des décisions affectant directement leur territoire et leur mode de vie.
Ces choix révèlent une profonde déconnexion entre les gouvernements africains et les aspirations de leurs populations. Le Ghana, par exemple, a signé des accords avec la Suisse et d’autres pays industrialisés pour transférer des millions de tonnes de CO2. Or, les bénéfices financiers tirés de ces accords sont souvent perçus par une minorité d’acteurs privilégiés, tandis que les communautés locales continuent de subir les effets de la pollution, de la déforestation et de la dégradation des écosystèmes.
Vers une Réappropriation des Ressources : Quel Modèle pour l’Avenir de l’Afrique ?
Face à cette situation, une réflexion critique s’impose sur le modèle de développement que l’Afrique souhaite suivre. L’adoption du marché du carbone pourrait, si elle est bien encadrée et contrôlée, offrir des opportunités pour financer des projets durables et inclusifs. Cependant, dans la configuration actuelle, le risque est grand de voir l’Afrique devenir le dépotoir climatique du monde, absorbant le carbone des pays du Nord sans en retirer de bénéfices significatifs pour son propre développement.
Une réappropriation des ressources africaines, tant naturelles qu’environnementales, doit passer par une réelle participation des populations locales aux décisions les concernant. Les mécanismes de plaintes et de suivi, bien que mentionnés dans les accords climatiques, restent insuffisants face à la complexité et à l’opacité des transactions internationales. Il est nécessaire de renforcer ces mécanismes et d’assurer une transparence totale dans la gestion des projets de crédits carbone.
Pour un Renouveau du Rôle de l’Afrique dans la Géopolitique Climatique
Le défi pour l’Afrique est immense : comment naviguer dans ce nouveau paysage géopolitique où ses ressources, y compris son « air », sont convoitées par les puissances extérieures ? La réponse réside peut-être dans une refonte des stratégies de négociation, une meilleure gouvernance locale et une solidarité panafricaine renforcée. Plutôt que d’être un réservoir à moindre coût pour les émissions de carbone, l’Afrique doit se positionner comme un acteur clé dans la définition des règles du jeu climatique mondial.
Cela nécessitera une prise de conscience collective et une mobilisation des acteurs africains pour réclamer leur juste part dans ce nouvel ordre mondial. Car si le climat est une affaire mondiale, l’avenir de l’Afrique ne peut être décidé sans la voix de ses peuples. En ce sens, la lutte contre le néocolonialisme climatique pourrait bien être le premier pas vers une nouvelle ère d’émancipation politique et économique pour le continent.
En reprenant les mots d’Achille Mbembe, l’Afrique doit passer de la périphérie au centre de la scène mondiale, non pas comme objet de convoitise, mais comme sujet de son propre destin.
Très intéressant