La défaite stratégique russe en Syrie, marquée par la chute du régime de Bachar Al-Assad, a eu des répercussions bien au-delà du Moyen-Orient. Elle a révélé au grand jour les limites de la puissance militaire et logistique russe, fragilisant son image auprès de ses alliés africains. Cette réalité va profondément bouleverser les équilibres politiques au Sahel et en Afrique subsaharienne, où les juntes militaires, longtemps soutenues par Moscou, se retrouvent désormais face à des choix cruciaux.
Depuis plusieurs années, la Russie s’était imposée comme un partenaire incontournable pour plusieurs régimes africains, en particulier ceux issus de coups d’État militaires. Le déploiement du groupe Wagner au Mali, en Centrafrique, au Niger ou encore au Burkina Faso, avait permis à Moscou d’établir une influence considérable sur le continent. Cependant, cette dynamique reposait sur une infrastructure logistique dépendante des bases russes en Syrie, aujourd’hui menacées.
Le redéploiement précipité des moyens russes vers la Libye, sous le contrôle du maréchal Haftar, témoigne de la fragilité croissante de ce dispositif. La Libye, bien qu’elle offre une alternative logistique temporaire, demeure un terrain instable, marqué par des rivalités internes et la présence de puissances étrangères concurrentes, notamment la Turquie. De plus, les itinéraires détournés imposés aux avions russes par les restrictions de survol compliquent davantage les opérations de ravitaillement et de projection de forces.
Cette situation a semé le doute parmi les régimes africains qui avaient misé sur Moscou comme garant de leur stabilité. « Si Moscou n’a pas sauvé Bachar Al-Assad, pourquoi nous sauverait-elle ? », s’interroge un officier malien. L’affaiblissement russe, accentué par le coût colossal de la guerre en Ukraine, exacerbe également les tensions financières et organisationnelles autour du remplacement du groupe Wagner par le dispositif « Africa Corps », une transition laborieuse et chaotique.
Face à cet affaiblissement, les juntes militaires africaines se retrouvent confrontées à des choix existentiels. Certaines pourraient chercher à se tourner vers d’autres partenaires étrangers, comme la France, qui conserve une présence stratégique forte, ou la Chine, dont l’influence économique ne cesse de croître. D’autres pourraient, par nécessité, se voir contraintes de céder une partie de leur pouvoir et d’initier des transitions démocratiques pour assurer une forme de stabilité interne.
Mais réduire l’avenir du continent africain à ces seuls choix géopolitiques serait une erreur profonde. L’Afrique ne peut plus être vue comme une simple proie pour des puissances étrangères cherchant à asseoir leur influence. Les sociétés africaines, riches de leur diversité et de leur résilience, ont montré à de multiples reprises leur capacité à se mobiliser, à résister et à influencer le cours des événements.
Comme le souligne Jean-François Bayart dans son analyse des sociétés africaines, il est essentiel de comprendre que ces sociétés ne sont pas figées dans des schémas préétablis mais qu’elles sont traversées par des dynamiques historiques, économiques et culturelles complexes. Les rapports entre les États africains et leurs sociétés civiles sont loin d’être statiques : ils évoluent, se recomposent, et parfois se heurtent frontalement.
Les soulèvements citoyens, les contestations face aux régimes corrompus, et les formes d’organisations locales autonomes témoignent d’une société civile active, capable de poser les bases d’une gouvernance plus équitable et plus transparente. La jeunesse africaine, en particulier, joue un rôle central dans cette transformation, portée par une aspiration forte à un avenir qui ne se construise pas sur des compromis opaques ou des alliances fragiles.
L’Afrique n’est plus cette arène où les puissances étrangères imposent leur loi sans résistance. Les États africains, malgré leurs fragilités, sont à un tournant où ils doivent choisir entre perpétuer un modèle autoritaire, soutenu par des partenaires extérieurs, ou ouvrir la voie à une gouvernance ancrée dans les réalités et les aspirations de leurs peuples.
Loin d’être une simple victime des manœuvres géopolitiques, l’Afrique est un acteur historique à part entière. Elle dispose des ressources, des talents et des dynamiques internes nécessaires pour tracer sa propre voie. Ce moment charnière n’est pas seulement une crise pour les régimes militaires africains ou pour leurs alliés déclinants, c’est aussi une opportunité pour les sociétés africaines de reprendre en main leur destin et d’affirmer, une fois pour toutes, qu’elles ne seront plus jamais considérées comme une proie.
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