La déclaration du ministre de l’Intérieur, M. Bruno Retailleau, frappe par son ton belliqueux et laisse perplexe : « soit il y a une mobilisation générale pour ce long combat contre le narcotrafic, soit il y a la ‘mexicanisation’ du pays ». En somme, M. Retailleau nous présente un dilemme simpliste et fallacieux : partir en guerre contre la drogue ou sombrer dans une crise à la mexicaine. Ce discours nous paraît non seulement hasardeux, mais ignore complètement une réalité bien documentée : on ne mène pas une guerre contre une habitude, aussi néfaste soit-elle, mais on soigne, on prévient et on éduque.
Une analogie douteuse avec le Mexique
L’association dramatique de la France avec la « mexicanisation » sème la confusion et l’inquiétude dans l’opinion publique. Cependant, cette comparaison avec le Mexique repose sur des fondations erronées. Le Mexique est pris dans une spirale de violence liée au narcotrafic, notamment par la corruption systémique et les cartels puissamment armés, des éléments qui, heureusement, ne sont pas présents en France. Pourtant, M. Retailleau alimente une peur sans rapport avec notre situation, camouflant sous des allures de grand stratège une méconnaissance des vraies solutions.
L’exemple européen et la méthodologie E.U.P.C. : une alternative éclairée
En Europe, plusieurs pays, loin de déclarer la guerre aux drogues, ont choisi de traiter la question des addictions comme un enjeu de santé publique. La méthodologie E.U.P.C. (European Union Prevention Curriculum), qui repose sur la prévention et la réduction des risques, a prouvé son efficacité : elle offre une réponse plus nuancée, ciblant les causes sous-jacentes des consommations plutôt que de criminaliser les usagers.
À l’inverse, en France, la politique publique manque cruellement de cette vision intégrée, malgré quelques initiatives. Le rapport de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) de 2023 fait état d’une consommation de drogues illicites, en particulier de cannabis et de cocaïne, en constante augmentation. La réponse, au lieu de miser sur des actions de santé publique renforcées, se limite souvent à la répression. La prévention n’est abordée que de façon superficielle, et les politiques de réduction des risques sont marginalisées dans les discours politiques dominants.
Une politique de santé publique qui montre ses limites
Les résultats des politiques publiques de prévention et de réduction des risques en France sont mitigés. D’après le rapport récent sur les politiques d’addiction en France, on note certes des avancées comme les « salles de consommation à moindre risque », mais leur nombre est restreint, et leur déploiement rencontre d’importantes résistances locales et nationales. La loi de modernisation de notre système de santé de 2016 a bien tenté d’incorporer des mesures plus strictes contre l’alcool et le tabac, mais les résultats peinent à suivre.
Par ailleurs, le Plan national de mobilisation contre les addictions (PNMA) de 2018 à 2022 a échoué à pleinement atteindre ses objectifs, particulièrement en matière de prévention. Si l’alcool, le tabac et les jeux d’argent restent sous les feux des projecteurs, la prévention des autres addictions, notamment celles aux drogues illicites, demeure largement insuffisante. La France persiste dans une approche axée sur l’interdiction et la répression, négligeant l’accompagnement et la réduction des risques, pourtant efficaces dans de nombreux pays voisins.
L’impératif d’un changement de paradigme
Plutôt que de déployer une armée contre des comportements addictifs, il serait judicieux de se pencher sur une politique d’éducation et de prévention, en s’inspirant des méthodes européennes reconnues, adaptées et basées sur des données probantes. Pourquoi ne pas renforcer le rôle des acteurs de santé, investir dans l’information des jeunes et favoriser la désintoxication plutôt que la criminalisation ? C’est ainsi, en soignant et en éduquant, que nous éviterons que la société ne tombe dans les excès qu’invoque M. Bruno Retailleau.
En somme, la solution à la lutte contre le narcotrafic réside dans une approche raisonnée et humaine, non pas dans une énième déclaration guerrière. Une « guerre contre la drogue » est une bataille perdue d’avance ; un programme de santé publique axé sur la prévention et la réduction des risques est, lui, un pari gagnant pour l’avenir de la société française.
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