
Depuis le printemps, Kiev a intensifié ses attaques ciblées contre les raffineries et oléoducs russes, paralysant jusqu’à 38 % des capacités de raffinage du pays. Ces frappes, menées à l’aide de drones longue portée, ont touché des installations à Samara, Riazan et Astrakhan, provoquant des pénuries d’essence dans plusieurs régions russes et des files d’attente devant les stations-service. En Crimée ou dans l’Extrême-Orient russe, les pleins sont désormais rationnés à dix ou vingt litres par véhicule. Ces attaques, bien que limitées militairement, ont un effet psychologique et économique majeur : elles touchent le cœur de la rente pétrolière, source principale de financement de la guerre et pilier de la stabilité sociale du régime.
Moscou a répliqué par une campagne coordonnée de frappes massives sur les chemins de fer, les hubs logistiques et les infrastructures énergétiques ukrainiennes. L’objectif est clair : désorganiser l’approvisionnement militaire et entraver la logistique de la reconstruction. Plus de cinquante missiles et cinq cents drones ont été tirés en une seule nuit contre les régions de Lviv, Kharkiv, Odessa et Zaporijia, signe d’une intensification des efforts pour briser la résilience ukrainienne. Ces bombardements visent à asphyxier l’économie, détruire les réseaux de transport et rendre la vie quotidienne intenable. Ils témoignent aussi d’un changement de stratégie : Moscou entend user le front arrière, là où se construit la capacité de résistance.
Face à cette escalade, le soutien européen se trouve à un tournant. Si les livraisons d’armes se poursuivent, l’essentiel du défi est désormais industriel et financier. L’initiative tchèque de financement des munitions, née d’une réaction à la paralysie du Congrès américain, a permis à quinze pays de livrer plus de trois millions d’obus à l’Ukraine. Ce dispositif a pallié l’insuffisance des productions nationales européennes, encore trop lentes malgré les annonces. Les industriels tchèques ont décuplé leurs capacités, mais ailleurs, la montée en puissance reste laborieuse. L’Europe découvre à quel point son modèle de défense, conçu pour la paix, peine à s’adapter à une guerre prolongée.
Cette fragilité européenne est d’autant plus préoccupante que la Russie cherche désormais à transformer la guerre économique en guerre politique. Vladimir Poutine menace d’une « réponse très convaincante » à toute extension de l’aide militaire et agite la perspective de représailles économiques. La saisie accélérée d’actifs occidentaux en Russie, la confiscation d’entreprises jugées « extrémistes » ou « hostiles », et le chantage à l’énergie témoignent d’une économie désormais militarisée et instrumentalisée à des fins de coercition diplomatique. Parallèlement, Moscou dénonce comme un « vol » la décision européenne d’utiliser les 140 milliards d’euros d’avoirs russes gelés pour financer la reconstruction de l’Ukraine, un geste perçu comme un acte de guerre par la Douma.
Dans ce bras de fer, l’Europe tente de trouver son équilibre. Entre la solidarité avec Kiev et la crainte d’une escalade, entre la défense de ses valeurs et la protection de ses intérêts économiques, elle avance sur une ligne de crête. Certains États, comme la Hongrie, continuent de jouer un rôle ambigu, privilégiant leurs liens énergétiques avec Moscou. D’autres, comme la Pologne, connaissent une montée des tensions internes, alimentée par la désinformation russe et la lassitude face à la guerre.
L’Union européenne, en cherchant à bâtir une économie de guerre tout en préservant ses équilibres sociaux, mesure l’ampleur du défi : soutenir l’Ukraine, contenir la Russie et se préparer à un monde où l’énergie, la logistique et la résilience industrielle deviennent des armes à part entière.
Au cœur de ce nouveau champ de bataille, la question n’est plus seulement de savoir qui l’emportera sur le front, mais qui saura tenir — économiquement, politiquement, moralement — dans cette guerre d’usure prolongée.
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