Si vous n’avez jamais lu l’indispensable Manuel du savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis , l’actualité récente outre Quiévrain devrait vous amenez à le lire, tel qu’il convient de le faire avec tous les textes de Pierre Desproges, avec une gaieté grave ou avec une gravité gaie. Chacun de ses textes semblent en effet l’illustration de cette maxime d’Oscar Wilde : « sachez traiter sérieusement les choses légères et légèrement les choses sérieuses »
Le texte auquel je pense est précisément celui qui s’intitule : « Comment déclencher une guerre civile bien poliment » où vous pourrez trouver par exemple ce petit bijou de goujaterie élégante « Comment font les Bordelais pour être aussi laid alors que leurs femmes sont aussi girondes ? »
Tout en riant de ces phrases apparemment absurdes, peut être que comme moi vous vous mettrez à penser brutalement à ce qui a pu pousser la Belgique dans cette situation aussi absurde. Se retrouver à nouveau à se passer de gouvernement à la suite d’une querelle linguistique qui nous échappe totalement.
Or donc, la décomposition de l’état Belge s’accentue. Décomposition favorisée semble-t-il par le fait que les Belges identifient de moins en moins l’utilité de l’état Belge car de plus en plus l’Europe et les gouvernements locaux remplissent les missions anciennement assurées par l’état fédéral.
Il est probable que si un référendum avait lieu aujourd’hui, le rattachement de la Wallonie à la France, de la partie germanophone à l’Allemagne et l’indépendance de la Flandre feraient la course en tête. Après tout, après avoir défendu l’indépendance du Kosovo contre la Serbie, nous ne devrions pas trouver à y redire au nom du sacro-saint principe des peuples à disposer d’eux même.
C’est là où la lecture de Desproges amène à réfléchir sur cette notion qui est finalement tout à fait arbitraire. Qu’est-ce qu’un peuple finalement ?
Le plus simple est de dire qu’un peuple c’est une langue avant tout. En effet, la France c’est le peuple Français parlant le français certes mais aussi le breton, le corse, le basque. Y a-t-il un peuple français ou plusieurs peuples français ? Voilà un débat qui a fait beaucoup couler d’encre chez nous. Il a aussi réveillé chez nous des craintes et avivé des divisions que nous voudrions tant abolir.
Le cas des flamands belges est assez significatif. En tant que flamands ils parlaient la même langue que les Néerlandais ce qui ne les a pas empêchés de faire sécession lors de l’indépendance et de ne pas envisager de retourner dans le giron néerlandophone en se séparant de la Wallonie.
La langue n’est peut-être pas finalement un bon indicateur de ce qu’est un peuple.
Mon intuition est qu’un peuple n’existe que lorsqu’il a conscience de lui-même et d’une mission commune et l’exemple de la France de ce point de vue est assez significatif.
Ce qui est drôle chez Desproges, c’est l’idée que nous pourrions nous battre contre les Bourguignons ou les Bordelais sous le prétexte d’une différence qui ne nous apparaît jamais nettement. Pourtant comme le note Michel Serres dans son article « Culture générique » du N° 145 de la revue le débat (un grand merci à la bibliothécaire qui me l’a déterré de la réserve municipale) les « cultures premières » de la France sont des cultures régionales, territoriales dont il est issu. Elles n’auraient pas trouvé étranges de se méfier voir de se défendre contre ces cultures allogènes et potentiellement dangereuse comme le démontrèrent par exemples les révoltes chouannes.
La culture française, sa visée universaliste, a permis d’y mettre une certaine harmonie toujours plus ou moins contestée mais globalement acceptée comme un acquis positif sauf par quelques extrémistes. Cependant, comme le remarque toujours Michel Serres cette culture deuxième n’a pas su éviter pour autant les boucheries des deux guerres mondiales.
Contrairement à la France, la Belgique ne semble pas avoir réussi à mettre en place cette culture deuxième peut-être parce que personne n’a su en faire la synthèse. De ce point de vue le bilinguisme a sans doute joué un grand rôle que la France a pu éviter par l’imposition du parlé François au détriment des autres langues et des variantes de cette langue. Et le fait que, les journaux flamands ne titrent que sur les médailles flamandes aux jeux olympiques montre à quel point il n’y a plus cette conscience d’une communauté de destin.
Je crois surtout que ce qui a manqué à la Belgique ça a été de grands hommes. Hommes d’états mais aussi artistes capables de donner aux Belges une conscience d’eux-mêmes et de leur devoir vis à vis de l’Europe. Et l’envie de boycotter les élections montre à quel point les Belges ne croient plus à leur système politique.
Car quand vous regardez du coté de Bruxelles, vous regardez l’Europe. La Belgique en est le siège mais il est aussi le prototype de ce que pourrait être la communauté européenne déchirée par des égoïsmes locaux.
Cela fait des années que les histoires belges ne me font plus rire mais celle-là me donne parfois envie de pleurer.
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