Mali, l’impasse d’un régime assiégé

La crise malienne atteint un nouveau seuil de gravité. Depuis plusieurs semaines, le blocus du carburant imposé par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM/GSIM), affilié à Al-Qaida, étrangle littéralement le pays. Les convois de camions-citernes venant de Mauritanie, du Sénégal, de Côte d’Ivoire ou de Guinée sont pris pour cible, provoquant une pénurie sans précédent jusque dans Bamako. Les écoles ont dû fermer pendant deux semaines ; certaines n’ont jamais rouvert. Plus de 2 000 établissements restent fermés sur les 9 000 que compte le Mali, privant plus de 600 000 enfants d’éducation. Le carburant devenu rare, chaque arrivée de convoi sous escorte militaire est vécue comme une « victoire », au prix de vies humaines perdues sur les routes. Dans le Nord et le Centre, villes et villages – Léré, Mopti, Loulouni – sont soumis à blocus, affrontements ou exactions. Le HCR recense plus de 2 500 réfugiés en moins de deux semaines fuyant Léré vers la Mauritanie. Les enlèvements d’étrangers battent des records : au moins 22 en six mois, utilisés comme sources de financement et instruments de dissuasion contre les investissements.

Au cœur de cette crise se trouve une stratégie djihadiste parfaitement rodée. Le JNIM a compris qu’il ne peut à ce stade ni prendre Bamako par une offensive frontale, ni assumer un contrôle territorial total. Il cherche donc à étouffer le pays, à isoler la capitale, à faire vaciller la junte de l’intérieur. Le mouvement impose une pression économique continue en ciblant les convois d’approvisionnement, paralyse les transports, empêche l’ouverture des écoles et frappe les sites industriels. Il multiplie les attaques contre les forces maliennes, comme à Soumpi où 48 soldats ont été tués, et étend ses actions jusqu’à Sikasso. Le JNIM recourt désormais à des drones kamikazes pour frapper certaines cibles, comme à Koura près de Loulouni, signe d’une adaptation technologique inquiétante. La violence envers les civils atteint un nouveau palier : l’exécution publique de la tiktokeuse Mariam Cissé, accusée de sympathies pour l’armée, a choqué tout le pays. Le JNIM poursuit une double logique : asphyxier l’État et imposer sa loi dans les zones rurales, tout en se posant comme alternative politique et religieuse. Il cherche non pas à conquérir Bamako par les armes, mais à y entrer par les alliances — ou par l’effondrement progressif de l’État.

Face à cela, la junte malienne apparaît de plus en plus isolée. Ses relations avec la France et les pays européens sont rompues ; la coopération avec les États-Unis se délite ; et ses voisins, eux-mêmes en crise, ne sont pas en mesure de lui venir en aide. Les arrestations récentes de hauts gradés comme les généraux Abass Dembélé et Néma Sagara pour « atteinte à la sûreté de l’État » révèlent les fractures internes d’un régime qui, pour se maintenir, suspecte ses propres cadres militaires. L’alliance avec la Russie, présentée comme la garantie de la souveraineté malienne, montre aujourd’hui ses limites. Les mercenaires de Wagner, rebaptisés Africa Corps, continuent d’être accusés d’exactions contre les civils ; et malgré leur présence, les jihadistes progressent, encerclent les villes, imposent leurs règles et contrôlent des pans entiers du territoire.

Le risque est désormais très clair : que Moscou abandonne la junte malienne, comme elle a soudainement lâché le régime syrien lorsque ses intérêts ont basculé. Après la chute d’Assad, la Russie a négocié directement avec les rebelles pour préserver ses bases, au mépris de décennies d’alliance proclamée. Ce précédent résonne douloureusement à Bamako : si les jihadistes deviennent les nouveaux maîtres du territoire, si les lignes de front évoluent encore, rien ne garantit que les forces russes ne se repositionneront pas en fonction de leurs seuls intérêts stratégiques. Pour Moscou, l’Afrique est un théâtre d’opportunités, pas un engagement moral. La junte pourrait découvrir, à ses dépens, qu’elle n’a jamais été indispensable.

Cette situation ouvre un horizon sombre pour les Maliens, qui voient se dessiner un avenir fait de pénuries chroniques, d’accès limité à l’éducation, de déplacements forcés et d’abandon des services publics les plus essentiels. Le blocus du carburant n’est pas seulement une arme militaire : il paralyse les hôpitaux, suspend les pèlerinages religieux — comme celui de Kita, annulé pour la première fois depuis des décennies — et sape le moral d’une population déjà éprouvée. Les habitants oscillent entre soulagement temporaire et angoisse persistante : chaque convoi qui arrive pose immédiatement la question du suivant. Les plus vulnérables — enfants, femmes, personnes âgées — payent le prix le plus élevé. Les régions rurales se vident, les villes se saturent, la Mauritanie accueille déjà près de 300 000 réfugiés maliens.

Dans ce contexte, la question centrale demeure : quelle sortie de crise est encore possible ? Une victoire militaire paraît désormais illusoire. Ni l’armée malienne, affaiblie et divisée, ni la présence limitée des mercenaires russes ne suffiront à inverser la dynamique du conflit. Le JNIM ne cherche pas la confrontation directe : sa stratégie est celle de l’usure, de l’étouffement, de l’influence sociale et religieuse. Les bras de fer sécuritaires ont montré leurs limites ; ils renforcent souvent les djihadistes, qui exploitent chaque bavure, chaque exaction, chaque défaillance de l’État. Les Maliens, pour leur part, expriment avant tout des besoins simples mais urgents : de la sécurité, des écoles ouvertes, du carburant accessible, la liberté de circuler, la possibilité de travailler et d’espérer. Sans réponse politique, sociale et économique, la crise ne peut que s’aggraver.

Ce qui manque aujourd’hui au Mali n’est pas davantage de soldats, ni de nouvelles alliances martiales, mais une vision politique capable de reconstruire la confiance, de restaurer des institutions légitimes et de négocier avec lucidité. La guerre ne peut pas, ne pourra jamais, être la seule réponse. Elle n’offrira ni stabilité, ni souveraineté, ni avenir.

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