Syrie, lendemain d’élections et interrogations

Le scrutin d’octobre a marqué une étape symbolique pour la Syrie : celle d’un pays en quête de stabilité après des années de guerre et de transition chaotique. Pourtant, derrière les discours d’unité et les appels à la reconstruction, la réalité demeure celle d’une société profondément fragmentée, exposée à des influences étrangères contradictoires et minée par une économie au bord de l’effondrement.

Le nouveau Parlement, issu d’un système électoral contrôlé par l’exécutif, offre une majorité de figures « modérées » : notables locaux, technocrates, représentants tribaux et quelques élus kurdes. Cette composition hétérogène a permis au président de transition, Ahmed al-Charaa, de gagner un sursis politique. Mais elle masque mal les failles du système. Les anciens relais du régime conservent leur influence sur la côte et dans les bastions alaouites, tandis que les régions du nord, plus proches d’Ankara, affichent des élus liés à la Turquie. Ce patchwork politique, loin de cimenter l’unité, alimente de nouvelles rivalités régionales et identitaires.

La Turquie a su transformer sa présence militaire et économique en influence politique. Dans le nord et à Alep, elle finance des réseaux d’aide, appuie des leaders communautaires et investit dans la reconstruction. Cette stratégie, en apparence pragmatique, a pour effet d’ancrer durablement son influence dans le jeu syrien. Damas doit désormais composer avec cette réalité : accepter la présence turque, c’est renoncer à une partie de sa souveraineté. La Syrie se retrouve piégée dans un équilibre fragile, où chaque compromis politique risque d’entériner une dépendance régionale.

À cette équation déjà complexe s’ajoute la menace constante des frappes israéliennes. Ciblant des positions liées à l’Iran, elles rappellent que la Syrie reste un champ de bataille secondaire dans la confrontation entre Téhéran et Tel-Aviv. Ces opérations fragilisent les tentatives de reconstruction, découragent les investisseurs et entretiennent un climat d’insécurité chronique. Elles permettent aussi aux courants nationalistes syriens de se poser en défenseurs de la souveraineté, au risque d’alimenter un discours populiste et revanchard.

Washington, quant à lui, impose ses conditions : lutte contre le terrorisme, respect des minorités, réformes institutionnelles. Mais ces exigences, sans soutien économique concret, maintiennent le pays dans une asphyxie structurelle. Les sanctions internationales, bien que justifiées par la nécessité de prévenir le retour d’un régime autoritaire, freinent la reprise et aggravent la précarité de la population.

C’est là que réside le cœur du problème : la Syrie est économiquement exsangue. Ses infrastructures sont en ruine, son agriculture dévastée, sa monnaie dépréciée, et son chômage endémique. Le pays ne dispose d’aucun plan de relance national crédible. Les élites politiques parlent de reconstruction, mais l’État n’a ni les ressources ni la stabilité nécessaires pour attirer les capitaux. Faute d’un cadre clair et d’une lutte réelle contre la corruption, le peu de richesses disponibles continue d’alimenter les réseaux clientélistes, perpétuant un modèle d’accaparement qui nourrit la défiance.

C’est dans ce contexte que la question de la justice devient cruciale. Après des décennies d’impunité et de répression, la chute du régime Assad a ouvert la voie à une exigence profonde de vérité et de réparation. La commission d’enquête mise en place par le gouvernement d’Ahmed al-Charaa doit incarner cette promesse, mais sa crédibilité reste fragile. Les Syriens, lassés des promesses non tenues, attendent des actes : juger les responsables des crimes de guerre, punir les trafiquants impliqués dans le commerce du captagon, et rétablir la confiance dans les institutions. Sans une justice impartiale et indépendante, les efforts de réconciliation resteront vains.

Le cas du trafic de captagon illustre parfaitement cet enjeu : la lutte contre cette économie criminelle, héritée du régime précédent, nécessite un appareil judiciaire capable de démanteler les réseaux et de résister aux pressions politiques. Dans le même esprit, les violences intercommunautaires récentes, notamment dans les bastions alaouites, rappellent que la justice doit être perçue comme un rempart contre la vengeance, non comme un outil de domination.

Les fractures sociales, confessionnelles et territoriales s’en trouvent exacerbées : sunnites contre alaouites, nord pro-turc contre sud loyaliste, élites urbaines contre populations rurales. Ce morcellement, accentué par les ingérences étrangères, fait peser un risque réel de re-fragmentation du pays.

Les élections d’octobre, censées incarner un renouveau, ont offert une respiration politique, mais pas de solution durable. Sans redressement économique, sans justice indépendante, sans effort concret de réconciliation, la paix syrienne restera une façade fragile. L’avenir du pays dépend désormais de sa capacité à transformer ses institutions transitoires en un véritable État — non pas sous tutelle étrangère, mais fondé sur la confiance de son peuple et sur la primauté du droit.

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