Quand le djihad sahélien tire les leçons de la guerre en Ukraine

Quadcopter drone. Original public domain image from Wikimedia Commons

La guerre au Mali change d’échelle — et de nature. Ce n’est plus seulement une confrontation d’hommes et de territoires : elle est en train de se transformer en laboratoire technologique où se rencontrent drones bon marché, intelligence artificielle accessible, réseaux satellitaires commerciaux et armées irrégulières adaptatives. Le résultat : une explosion des capacités offensives des groupes armés, une militarisation de l’espace civil et une junte nationale qui, en s’enfermant dans la voie de la coercition et du recours aux mercenaires russes, se prive des leviers politiques indispensables pour retrouver un contrôle durable.

Depuis 2023–2024, les organisations jihadistes et rébellions sahéliennes ont massivement adopté des drones commerciaux transformés en armes : FPV, VTOL et quadricoptères bricolés servent désormais au repérage, à la mise à feu et à des frappes kamikaze. Ces engins, d’un coût modeste et faciles à acquérir, ont permis des opérations coordonnées — attaques contre bases, embuscades renforcées par ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance), et diffusion de vidéos de « frappes » à visée psychologique. Des incidents récents — de Tessalit à Boulikessi, en passant par Dioura et Tiby — illustrent une cadence et une sophistication croissantes des frappes par drone, parfois couplées à des assauts terrestres très meurtriers.

La diffusion technique est accélérée par l’accessibilité des outils : firmwares modifiables, guides open source, et modèles d’IA hors ligne qui permettent d’optimiser trajectoires et contournement des « géofences ». Le bas prix des plateformes (quelques centaines d’euros) et la disponibilité sur des marchés informels rendent la prolifération presque inévitable. Le schéma ukrainien — adaptation low-cost, recours à l’IA et partage de savoir-faire — a servi de modèle d’apprentissage tactique pour plusieurs cellules sahéliennes.

Autre bouleversement : l’irruption des kits Starlink comme moyen de contournement des réseaux terrestres. Là où les opérateurs nationaux sont absents ou surveillés, Starlink offre une connectivité sûre et difficile à intercepter, utilisée tant pour la coordination opérationnelle que pour la diffusion de propagande. Des confiscations ponctuelles ont montré la réalité du phénomène ; des États de la région ont commencé à légaliser l’accès précisément pour mieux contrôler et tracer ces usages — démarche pragmatique qui vise à réduire la fenêtre d’exploitation par des réseaux criminels. Mais la facilité d’accès et la porosité des chaînes d’approvisionnement laissent de larges marges d’exploitation aux groupes armés.

Face à ces évolutions, la réponse malienne est doublement déficiente. D’une part, Bamako a concentré ses moyens contre certains foyers du Nord en s’appuyant sur des mercenaires (Africa Corps / ex-Wagner) et sur des achats de matériels lourds, notamment des TB2 comme le Burkina Faso. D’autre part, la junte s’est politiquement isolée — rupture avec partenaires régionaux, recul démocratique, report des élections — ce qui fragilise la chaîne de commandement, le moral des troupes et la coordination logistique. L’emploi de supplétifs étrangers, loin d’assurer le monopole de la violence, a parfois exacerbé les ressentiments locaux et alimenté la contestation, tout en laissant libre cours aux exactions dénoncées par la société civile.

Les conséquences opérationnelles sont visibles : les forces régulières peinent à maintenir simultanément présence sur plusieurs fronts (nord, centre et maintenant ouest), leurs convois sont vulnérables aux attaques coordonnées (drone et embuscade terrestre), et l’autorité de l’État s’affaiblit au profit d’alliances de fait entre milices, réseaux criminels et intérêts économiques locaux.

Les boucliers technologiques (jammers, systèmes anti-drone, plateformes d’interception) existent, mais coûtent cher, demandent formation et maintenance, et ne règlent pas le problème politique sous-jacent. Parallèlement, l’usage de la technologie par des acteurs non étatiques rend obsolète l’approche « appareil contre appareil » : neutraliser quelques drones n’empêche pas la production locale de pièces, la réutilisation ou la simple multiplication des engins. Le rapport tactique se transforme : ce sont désormais des approches intégrées — renseignement partagé, traçage des filières d’approvisionnement, lutte contre la rente illégale — qui sont opérationnellement décisives.

La dynamique technologique au Mali démontre une chose nette : la supériorité momentanée d’un camp sur un autre ne se mesure plus seulement au nombre de blindés ou de mercenaires engagés, mais à la capacité à contrôler les flux d’information, à interrompre les chaînes d’approvisionnement des technologies et à reconstruire des institutions locales légitimes. En l’état, la stratégie de la junte — fermeture politique, recours aux mercenaires, réponses militaires ponctuelles — reproduit les conditions de l’échec : plus de violences, plus d’exactions, et une spirale qui favorise l’adaptation des groupes armés via drones et communications satellitaires.

Il n’existe pas de panacée militaire contre un adversaire qui sait bricoler des armes, exploiter l’économie et se connecter au réseau mondial. Une sortie de l’impasse suppose de combiner : neutralisation ciblée des capacités drone adverses, régulation et suivi des flux Starlink, démantèlement des filières logistiques, actions contre l’économie de prédation (mines, taxes illicites), et — surtout — relance d’un projet politique inclusif qui redonne légitimité à l’État. Sans cette articulation entre technique et politique, toute « victoire » sur le terrain restera temporaire, et le Mali restera le théâtre d’une guerre hybride où la technologie profite à ceux qui savent l’adapter le plus vite.

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