Après la chute de Djibo, quel avenir pour le Burkina Faso ?

Djibo est tombé. Et avec cette ville symbolique du nord du Burkina Faso, c’est une partie de la promesse du capitaine Ibrahim Traoré qui s’effondre : celle d’avoir, en quelques mois, inversé le cours d’une guerre asymétrique. L’absence totale de réaction des forces armées régulières face à la prise de Djibo par les djihadistes illustre l’état de sidération et d’impuissance dans lequel se trouve aujourd’hui l’appareil sécuritaire burkinabé. Elle dit tout d’un pouvoir assiégé, d’une armée débordée et d’une société qui se fracture un peu plus chaque jour.

Les faits sont têtus : le Burkina Faso ne parvient ni à arrêter l’avance djihadiste ni à enrayer l’effondrement de son tissu social. Au cœur de cette spirale, la communauté peule se retrouve prise au piège. Accusés d’abriter ou de rejoindre les rangs djihadistes, les Peuls sont aussi les premières victimes des massacres perpétrés par les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) et les Bataillons d’intervention rapide (BIR). Des dizaines d’exécutions ciblées, souvent documentées par des vidéos insoutenables, participent d’une campagne de représailles qui vire à l’épuration ethnique.

Ce climat de suspicion et de peur n’est pas nouveau. Il résulte d’un refus ancien de penser la société burkinabée dans toute sa complexité. Le pouvoir central a longtemps ignoré la fragmentation communautaire, les réalités locales, les humiliations quotidiennes subies par des groupes entiers. Plutôt que de s’attaquer aux causes profondes de l’engagement djihadiste, il a préféré la force brute, la vengeance, l’amalgame. Chaque village soupçonné devient un théâtre d’opération punitive. Chaque Peul, un suspect par défaut.

Les frères Dicko, figures djihadistes venues de Djibo, sont devenus les symboles d’une jeunesse peule marginalisée, brisée, puis radicalisée. Leur ascension ne doit rien au hasard. Elle s’inscrit dans une histoire de rejet, de fractures internes à la communauté elle-même, de mépris des institutions religieuses et sociales traditionnelles. Leur projet prospère sur l’échec de l’État à intégrer ses citoyens, à leur offrir une alternative. Face aux armes, la parole publique est muette. Face aux exactions, l’impunité est systématique. L’exil devient alors l’ultime recours.

Près de 250 000 Burkinabés ont déjà fui vers la Côte d’Ivoire. Certains pour échapper aux djihadistes, d’autres pour fuir l’armée et ses supplétifs. Le pouvoir burkinabé, tout occupé à gérer sa communication et à désigner des ennemis intérieurs, semble incapable de comprendre cette dynamique. Il ne voit pas que chaque village rasé, chaque civil abattu, creuse davantage le fossé entre l’État et sa population.

Deux ans et demi après le coup d’État, la stratégie du capitaine Traoré s’est vidée de sens. Les BIR sont mal formés, peu encadrés, et souvent livrés à eux-mêmes sur le terrain. Les VDP, issus de milices locales, agissent en roue libre. Et la promesse d’une reconquête s’est transformée en guerre contre les civils. Une guerre confuse, sans règles, qui alimente la propagande djihadiste et fait le lit d’une insurrection permanente.

Il ne suffit pas de répéter que le Burkina Faso est souverain. Il faut aussi faire nation. Tant que la communauté peule restera marginalisée, tenue à l’écart, soupçonnée de duplicité ou de trahison, aucune stabilité ne sera possible. Le régime actuel a fait le choix de la brutalité comme réponse à la complexité. Il récolte aujourd’hui le chaos.

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