Syrie : un pouvoir fragile face au défi de la justice

A U.S. Soldier provides security during a coordinated, independent patrol along the demarcation line near a village outside Manbij, Syria, June 26, 2018. More: The U.S. recently started conducting these patrols with Turkish Military Forces, patrolling on opposite sides of the demarcation line. (U.S. Army photo by Staff Sgt. Timothy R. Koster). Original public domain image from Flickr

La Syrie, après plus d’une décennie de guerre, envoie un signal d’alarme inquiétant. La chute du régime des Assad n’a pas marqué la fin des violences, mais au contraire libéré des forces qui menacent de plonger le pays dans une instabilité encore plus profonde. Les luttes intestines se multiplient, opposant factions rivales, anciens partisans du régime et puissances étrangères en quête d’influence. Les récents affrontements dans le nord-ouest du pays témoignent non seulement de l’incapacité du nouveau gouvernement à asseoir son autorité, mais aussi du chaos rampant qui s’installe à mesure que la situation lui échappe.

La menace la plus immédiate réside dans l’insurrection des anciens loyalistes, notamment dans les bastions historiques du régime défait, comme Lattaquié et Tartous. Les forces de sécurité du gouvernement provisoire ont dû mobiliser en urgence des milliers de combattants pour reprendre le contrôle d’une situation qui leur échappait. Ces batailles ont non seulement mis en lumière l’existence de réseaux toujours actifs de partisans de l’ancien régime, mais aussi le soutien extérieur dont ils bénéficient.

L’ombre de l’Iran plane lourdement sur ces événements. Téhéran, qui avait investi massivement dans la survie du régime Assad, ne semble pas prêt à renoncer totalement à son influence en Syrie. La récente insurrection dans la région côtière s’est structurée autour d’anciens cadres militaires étroitement liés à l’appareil sécuritaire iranien et au Hezbollah libanais. Les armes et systèmes de communication utilisés par les insurgés laissent peu de doutes quant à leur provenance, et les nouvelles autorités syriennes doivent désormais faire face à une subversion orchestrée par un acteur extérieur déterminé à conserver ses positions stratégiques dans le pays.

Mais la plus grande menace qui pèse sur la stabilité du pays n’est peut-être pas celle des armes, mais celle du chaos judiciaire. Les exécutions sommaires qui ont suivi la reprise en main des villes insurgées ont entaché la crédibilité du nouveau pouvoir. Les massacres perpétrés contre des civils alaouites ont ravivé des tensions communautaires que l’on espérait voir s’apaiser. Ces exactions, souvent commises par des factions armées échappant au contrôle direct du gouvernement, démontrent l’urgence d’un rétablissement d’un système judiciaire efficace et impartial.

L’histoire du Cambodge après la chute des Khmers rouges est un avertissement que la Syrie ne peut ignorer. Après le renversement du régime sanguinaire de Pol Pot en 1979, le pays a sombré dans un vide judiciaire qui a permis aux anciens bourreaux de se fondre dans la population, parfois même de reprendre des postes de pouvoir. Pendant des décennies, l’absence d’un véritable processus de justice transitionnelle a nourri un sentiment d’impunité et empêché toute véritable réconciliation nationale. Ce n’est qu’en 2006, sous la pression internationale, que le Tribunal des Khmers rouges a été mis en place, bien trop tard pour restaurer pleinement la confiance du peuple cambodgien envers l’État.

Si la Syrie ne met pas en place rapidement un cadre judiciaire rigoureux et transparent, elle court le risque de voir les anciens responsables du régime Assad se réinsérer discrètement dans les structures du pouvoir, tout comme cela s’est produit au Cambodge. La population, fatiguée par la guerre, exige des garanties que les abus commis sous l’ancien régime ne seront pas simplement remplacés par d’autres, sous une nouvelle bannière. Si les crimes de guerre des loyalistes doivent être poursuivis, ceux commis par les forces du nouveau pouvoir ne peuvent être ignorés sans saper définitivement toute confiance dans l’État.

Dans cette lutte pour l’instauration d’un État fonctionnel, l’Union Européenne a un rôle clé à jouer. L’Europe, déjà confrontée aux vagues migratoires issues des conflits au Moyen-Orient, a un intérêt stratégique à stabiliser la Syrie en soutenant la mise en place d’un système judiciaire digne de ce nom. Aider à reconstruire des institutions judiciaires, former des magistrats et garantir des procès équitables sont des leviers essentiels pour empêcher la résurgence du chaos.

Dans un pays où l’ordre repose encore sur la force des armes, l’Europe a l’opportunité de démontrer qu’il existe une autre voie : celle de la justice et du droit. Ne pas s’engager dans cette direction, c’est laisser la Syrie aux mains de ceux qui préfèrent la guerre à la reconstruction, la vengeance à la réconciliation.

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.